A 20 ans je passe les portes de La Rose des Vents, la scène nationale de Lille Métropole, pour y faire un atelier de pratique artistique. Je découvre un lieu qui devient pour moi une forme d’utopie, un endroit où on croit que l’art peut changer le monde, où on fait en sorte de mettre des spectateurs inattendus devant des spectacles inattendus et où on se donne les moyens et le temps d’inventer des rencontres possibles entre les artistes et les publics. Ça se passe dans les années 90. Cette aventure humaine a déterminé pour moi l’espace où je voulais m’inscrire dans le monde avec passion, conviction et enthousiasme : le théâtre. Je termine une maîtrise d’Histoire et un DESS de développement culturel pour rejoindre ce qui m’attire : le plateau.
Ce que je sais du théâtre, je l’ai appris dans les salles devant les spectacles qui m’ont bouleversée et sur les plateaux comme assistante à la mise en scène. J’ai été nourrie aux spectacles des flamands comme ceux de Jan Fabre, de Jan Lauwers et d’Alain Platel. Un théâtre qui s’est inventé en-dehors de toute tradition théâtrale et en dehors des cadres institutionnels. J’ai également été nourrie du travail de Jean-Michel Rabeux dont j’ai été l’assistante pendant 8 ans. Là encore c’est un théâtre hors des conventions et de l’académisme théâtral, où l’acteur est créateur, la psychologie bannie, la notion de personnage absente, et surtout où le corps est premier. C’est un théâtre qui cherche à exprimer ce qu’habituellement on tait, un théâtre du secret qui cherche à atteindre le spectateur dans son intimité.
Ce que je cherche au théâtre c’est la rencontre avec l’autre, dans sa complexité. J’aime sa douleur, sa cruauté, sa colère, son amour, sa fantaisie, sa légèreté, son rire. J’aime ce qui fait de lui/d’elle une personne. Je cherche à m’approcher de cette personne sur le plateau pour la rencontrer, dans la salle, en chaque spectateur. J’espère, en secret, que cette quête impossible de rencontre de l’autre permette plus de compréhension et d’acceptation de soi d’abord et des autres ensuite. J’espère qu’elle contribue à créer un monde un peu plus doux. Ça semble naïf mais que peut-on faire d’autre qu’essayer de retisser des liens entre nous. Une question hante mes spectacles depuis que je fais du théâtre : qu’est-ce qui fait que ça vaut le coup la vie ? Qu’est-ce qu’on choisit de vivre, de faire pour pouvoir se dire que la vie fut belle ? A quoi accorde-t-on de l’importance, de la valeur pour que cela ait du sens ?
Autant que de faire des spectacles, il m’importe qu’ils puissent rencontrer des spectateurs les plus nombreux et les plus différents possible. J’aime inventer des projets d’action artistique qui permettent ces rencontres et d’ouvrir les portes des théâtres à ceux qui ne les ont peut-être encore jamais passées.